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Abercrombie & Fitch : une marque sur le fil. Décryptage.


Netflix vient de sortir le documentaire « Abercrombie & Fitch : une marque sur le fil » . Ce documentaire retrace le phénomène Abercrombie & Fitch de la fin des années 90 au début des années 2000 et la façon dont la marque "des gens cool" a bâti son succès sur l'exclusion. Au-delà de revenir sur le côté marketing de la marque, le documentaire met surtout l'accent sur tout son aspect discriminatoire que personne ne voyait à l'époque. Un système qui a été mis en place par son PDG Mike Jeffries, qui voulait absolument être la marque des 'cools kids" et à l'assumer publiquement, comme avec cette déclaration ultra problématique en 2008 : « Dans chaque école, il y a les enfants cool et populaires, et puis il y a les enfants pas tellement cools. En toute honnêteté, nous nous adressons aux enfants cools. »

Nous proposons un décryptage de ce qui a été initialement un succès marketing et ensuite une dérive totale. Comprendre les raisons du succès d’Abercrombie & Fitch (plus subtiles que les seules références à la communication WASP, sexy ou provocatrice) n’a rien à voir avec l’acceptation d’une « idéologie de marque » fort contestable.


Historique de la marque


· Le groupe Abercrombie & Fitch ne porte que le nom d'une compagnie fondée en 1892 par David T. Abercrombie et Ezra H. Fitch. En effet, le premier magasin Abercrombie & Fitch vit le jour en 1892 à Manhattan, à New York. Ilétait spécialisé dans la vente d'articles mais aussi de randonnée et était réputé pour ses fusils de chasse, ses cannes à pêche et ses tentes, bien loin del'image actuelle du groupe. En 1976, Abercrombie & Fitch se déclara en faillite et ferma définitivement les portes de son magasin en 1977.

· Le nom fut repris peu de temps après, en 1979, par une chaîne de magasins basée à Houston : Oshman's Sporting Goods. Cette compagnie relança la vente par correspondance de vêtements de chasse et d'articles de fantaisie. Elleouvrit également des magasins à Beverly Hills, Dallas et New York. Oshman's vendit finalement le nom de la compagnie et ses activités en 1988 au groupe The Limited, une chaîne de vêtements basée à Columbus, dans l'Ohio. C'est le début d'une nouvelle marque.

· En septembre 1996 A&F est introduite sur le New York Stock Exchange.

· Au début des années 2000, c'est l'apogée : elle est classée régulièrement dans le Top Ten des marques préférés des jeunes Américains. Pour de nombreux jeunes européens, et autres, l'achat d'un produit A&F est un "must" s'ils voyagent aux USA. La réputation est exceptionnelle et touche autant la marque, les magasins que les produits.

· Au milieu des années 2000, et avant la crise de 2008, deux décisions stratégiques sont prises. D'une part une internationalisation progressive et qui semblait prendre du retard. D'autre part le lancement d'une marque assez proche, Hollister, qui va venir progressivement prendre des parts de marché... à Abercrombie & Fitch !

· La crise de 2008 et le ralentissement immédiat de l'économie américaine va porter un rude coup à l'entreprise qui va fermer plus d'une centaine de magasins sur les 300 qu'elle compte.


Les raisons du succès de la marque :


Nous décryptons au travers de l’analyse du Marketing-mix, les raisons du succès d’Abercrombie & Fitch avant la crise qui secouera la marque dans les années 2000.


1) Une identité de marque omniprésente

L'identité de la marque, son logo, son écriture, sa typographie sont présents partout, sur tous les produits...La marque s'affirme, s'impose, s'étend…assume une forme « d'impérialisme » décomplexé.


2) Un positionnement réussi

Le positionnement « Casual Luxury » réussi participe au succès de la marque. Produit confortable, belles matières, coupe élégante et qui ne cède pas aux diktats de la mode.


3) Un marketing sensoriel hors-norme

Le magasin n'est pas un lieu de vente mais d'expériences. La stratégie d’Abercrombie & Fitch vise à proposer une forme « d'aventure ». Le marketing sensoriel d'Abercrombie & Fitch en trois temps: dès l'entrée dans le magasin une odeur, celle du parfum de la marque... mis en avant par un éclairage qui rappelle davantage une boîte de nuit qu'un magasin traditionnel…enfin, une musique souvent forte, parfaitement désagréable pour une clientèle conventionnelle.


4) Une politique de prix premium

La marque refuse constamment les actions de promotion. A titre d’exemple, elle est la seule marque américaine à ne pas participer au Boxing Day (journée de solde après Noël). La gestion de la rareté des magasins a longtemps été un moyen de créer une valeur psychologique accrue à l'offre.


5) Une communication réussie

Une intelligence du « jeu des médias » en investissant peu en communication publicitaire mais davantage en relations presse, en lancements...d'autant qu'à la différence de nombre de ses concurrents ce n'est pas vraiment le renouvellement des collections qui est apte à faire la « différence » dans la quête de médiatisation. Les politiques de communication, par l'intermédiaire de la publicité (même si l'enseigne investit peu dans ce domaine), des outils plus commerciaux (plv, catalogues très prisés, animations événementielles) sont d'une grande cohérence et au service du « storytelling de la marque », cet univers à la fois Wasp mais moderne, esthétisant mais socialement discriminant, nostalgique en termes de représentation (surf, années 50, nature….) mais également très moderne.


6) Culture produit construite sur la qualité et la continuité, pas sur le renouvellement permanent

Contrairement aux concurrents directs qui vivent sous le diktat du renouvellement permanent des collections, parfois forcés à en accélérer le rythme, A & F maintient une permanence, un fond de collection qu'on retrouve au fil des ans, apportant en plus des produits saisonniers, des offres éphémères... mais le but n'est pas de surprendre le client mais de le rassurer, de lui donner le sentiment de se « retrouver parmi les siens ».


7

) Un rapport à l’expansion pondéré

Quand on analyse la concurrence des grands distributeurs (Zara, H&M, Gap, Levi’s, American Eagle), AF a mis en place un développement progressif aux Etats-Unis et très lent au niveau international, à l’opposé de ses principaux concurrents


Mais le succès d’Abercrombie & Fitch réside principalement dans sa « tribalisation ». C’est également cette tribalisation qui permet d’expliquer son déclin dans les années 2000. Explications.


La tribalisation d'Abercrombie & Fitch


Abercrombie & Fitch semble avoir réussi à bénéficier des avantages du marketing « tribal ». La marque a su déployer là où il le fallait les signes de reconnaissance, d'appartenance, d'identification : la ritualisation du parcours client, l'atmosphère unique des magasins, « l'exacerbation des stimulations sensorielles » (musique forte, parfum omniprésent), « l'érotisation du personnel en contact ». Ainsi, le marketing a permis d'améliorer la différenciation sur un marché fortement concurrentiel, de transformer la venue dans le magasin en une véritable expérience, à la fois « inhabituelles et gratifiantes et qui tendent à augmenter volume de clientèle et chiffres d'affaires».

La communication de Abercrombie & Fitch a favorisé la dynamique de tribus (« vous êtes des nôtres »), même si elle a pour résultante l’exclusion d’une autre partie de la population.

Mais en poussant à l’extrême sa volonté d’inclusion, la marque a fini par créer l’exclusion. C’est ce qui est décrit dans le documentaire. La volonté de tribalisation de la marque a fini par devenir trop explicite, trop visible, trop évidente. Et surtout, le conservatisme culturel de A&F, sa vision excluante, n’a pas réussi à demeurer aussi attractive, face aux attaques de plus en plus nombreuses et de plus en plus vives sur les réseaux sociaux.

La tribalisation de marque d’Abercrombie & Fitch, sa quête d'adeptes qui deviennent eux-mêmes des porte-paroles de la marque, s’est heurtée à de nouvelles concurrences et n’a pas anticipé les nouveaux courants socioculturels.


Source : (cf. J.F. Lemoine et O. Badot- Gestion Tribale de la marque est distribution spécialisée, le cas Abercrombie & Fitch - Décisions Marketing N°52, Oct/dec 2008).

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